Deux éléphants roses au Rwanda – Tour du monde à bicyclette [2ème partie]
Je cramponne fermement mon guidon pour ne pas percuter l’un des innombrables enfants. Les petites mains tentent d’attraper nos vêtements, nos sacs et nos cheveux. C’est insolite et audacieux, mais d’une certaine façon compréhensible. Après tout, deux éléphants roses qui parcourent le Rwanda à bicyclette, ça ne voit pas tous les jours.
J’ouvre les yeux. Au-dessus de moi, une moustiquaire trouée, jaunie par le soleil. Je soupire et je frotte une piqûre sur ma main gauche. À côté de moi, Jason se réveille : « Bonjour, mzungu ». Je ne peux m’empêcher de sourire et j’opine du chef. « C’était quelque chose, hier. » Je hoche de nouveau la tête et demande : « Penses-tu qu’ils soient toujours là ? »
Jason hausse les épaules : « Aucune idée. Mais je propose de prendre le petit-déjeuner à l’intérieur et de n’ouvrir la porte que lorsque nous aurons tout emballé. Ensuite, il ne nous restera plus qu’à charger les vélos pour disparaître aussi vite que possible. » J’acquiesce. C’est ce qu’il y a de mieux à faire.
Que s’est-il donc passé hier ? Nous y reviendrons plus loin.
Depuis notre séjour en Iran, nous sommes habitués à susciter l’attention. Avec nos vélos très chargés, nous étions acclamés comme des popstars à tous les coins de rue. On était salué, on nous offrait des cadeaux, on nous invitait. Sans parler des innombrables selfies sur les téléphones portables, que les Iraniens partageaient avec toute la famille. Cette vidéo vous donnera une idée du déroulement de nos journées en Iran, et de l’accueil qui nous a été réservé par les habitants du pays :
Adieu les popstars
Au Rwanda, ce n’est pas la même chose. Les regards se braquent toujours sur nous, mais plus comme si nous étions des popstars. Nous nous ferions plutôt l’effet de deux animaux de zoo exotiques, deux étranges créatures tout aussi sensationnelles que des éléphants roses. Le vélo, les vêtements, notre couleur de peau... Tout est différent chez nous. Pour les enfants là-bas, nous sommes des phénomènes ambulants ou, plus précisément, roulants.
Cela fait des jours que nous ne sommes plus jamais seuls. Une petite horde d’enfants et de teenagers nous suit en permanence. Ils courent pieds nus à nos côtés, sur plusieurs kilomètres, tout en nous transperçant du regard, sans perdre une miette du spectacle, et crient « mzungu, mzungu ». Pour les Rwandais, mzungu désigne des personnes à la peau claire. Ils nous interpellent ainsi pour capter notre attention, et pour annoncer notre arrivée à la ronde. Trop souvent aussi, nous sentons leurs petites mains sur nos sacoches ou sur nos corps. Les plus grands nous tirent les cheveux – des cheveux si différents des leurs au toucher.
Le pays vert aux mille collines
Hier, nous avons suivi une route particulière. Nous avons emprunté le fameux Congo Nile Trail et franchi ainsi des monts et des vaux en longeant le lac Kivu. La vue et le trajet étaient époustouflants. Le paysage rwandais est unique et magnifique. Nous n’avions rarement vu une région aussi verdoyante.
Le pays des mille collines fait honneur à son nom. Dès que nous avions franchi une colline boisée, une autre nous attendait. Puis la suivante. C’est ainsi que nous avons grimpé hier plus de 1200 mètres de dénivelé sur une distance de seulement 32 kilomètres. Sans doute aucun, le Congo Nile Trail aura été l’une des portions de route parmi les plus belles et les plus exigeantes de notre périple à ce jour. Les pistes étaient non seulement escarpées, mais comportaient aussi de nombreux passages difficiles. Trop souvent, il nous a fallu mettre pied à terre et porter nos vélos pour dépasser des éboulis. Par bonheur, nous avons eu de la chance avec le temps – presque trop de chance. Le soleil nous brûlait et l’humidité de l’air pourvoyait à une moiteur ambiante.
À l'épuisement physique s’est ajoutée la fatigue psychique. Tous les deux kilomètres, un groupe d’enfants nous escortait. Ils trottaient à côté de nous, bruyants et joyeux – une véritable épreuve de patience.
Derrière le portail vert
À bout de force, assoiffés et avec une nuée d’enfants dans notre sillage, nous avons atteint un petit village avec une auberge simple où nous avions prévu de passer la nuit et de nous reposer.
Dans la localité, le nombre d’enfants a brusquement doublé, et peut-être même triplé. Ils nous semblaient de plus en plus nombreux. Ils affluaient de partout à notre rencontre. Je cramponnais fermement mon guidon des deux mains pour ne pas percuter un enfant – et ne pas tomber de vélo non plus.
Peu à peu, nous avons pu nous frayer un chemin dans la foule pour atteindre enfin, dans un vacarme assourdissant, le portail métallique vert de l’auberge. Nous avons soulevé nos lourdes bicyclettes, franchi le seuil et refermé le portail derrière nous.
Ouf ! Nous avions réussi, enfin.
Nous étions dans la cour intérieure de l’auberge. Derrière nous s’élevait un mur de deux mètres de hauteur, qui nous séparait des hurlements des enfants. Nous avons regardé autour de nous. La bâtisse était plutôt vieillissante.
Nous étions sur le point de décharger les sacoches de nos vélos lorsque nous avons repéré du mouvement sur le mur.
Une tête d’enfant surgit au-dessus du mur, puis une deuxième, une troisième et une quatrième. Les enfants commençaient à escalader le mur ! « Non, ce n’est pas vrai ? » m’exclamai-je à l’adresse de Jason. Mais il ouvrait déjà la porte de l’auberge pour pousser hâtivement son vélo à l’intérieur. « Apporte ton vélo. On ne sort plus d’ici ! »
Á l’intérieur, nous avons été accueillis en kinyarwanda – la langue locale – par le propriétaire de l’auberge, un homme d’une vingtaine d’année. « Il nous faut une chambre pour une nuit », et – tout en jetant un coup d'œil dans la cour où quelques enfants s'apprêtaient à enjamber le mur en sens inverse – « nous aimerions si possible diner à l’intérieur. » Jason mima tout d’abord quelqu’un qui dort, puis quelqu’un qui mange. L’aubergiste opina du chef, un sourire aux lèvres, et désigna de la main une porte avec le numéro quatre.
Dans la minuscule chambre derrière cette porte, sous une moustiquaire trouée et jaunie, se trouvait un lit, et rien d’autre. Il n’y aurait pas eu la place non plus. « Une douche ? » interrogeai-je, tout en simulant une douchette de la main. Le propriétaire fit un signe de la tête en désignant un seau d’eau et une porte à l’autre bout du couloir.
Nous avons haussé les épaules. De toute façon, il n’y avait pas d’autre option. Nous avons entassé nos bagages dans la chambrette, adossé les vélos contre le mur et les avons sécurisés avec un antivol. Pendant ce temps, l’aubergiste a préparé notre dîner : matooke (bouillie de bananes) avec dodo (légume vert) et haricots. Affamés, nous avons dévoré notre repas avant de nous laver avec l’eau du seau puis, tombant de fatigue, nous nous sommes mis au lit.
C’était la deuxième partie.
Vous avez aimé cet article ? Votre curiosité a été piquée ? Dans ce cas, nous vous invitons à lire notre précédent post. Nous y relatons la première partie de notre voyage, qui nous a conduits de la Suisse en Iran. Nous mentionnons aussi quelques produits dont nous ne voudrions pas nous passer au quotidien.
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