Gin : histoire, origine et fabrication
Le gin fait aujourd’hui partie intégrante du paysage des spiritueux. Il n’y a guère de bar (privé ou non) qui ne propose pas l’eau-de-vie de genièvre, et il semblerait qu’une nouvelle sorte soit lancée sur le marché toutes les deux semaines. Jetons un coup d’œil à son histoire et levons le voile sur ses secrets de fabrication.
De l’armoire à pharmacie au comptoir du bar
Les origines du gin remontent probablement au 11e siècle. À Salerne, en Italie, des moines bénédictins ont expérimenté la distillation de nombreuses herbes médicinales, dont le genièvre, à partir duquel le gin est encore fabriqué aujourd’hui. La première mention écrite d’une eau-de-vie de genièvre appelée « Genever », aujourd’hui considérée comme l’ancêtre du gin, remonte au 12e siècle. Ce n’est toutefois qu’à partir du 16e siècle que le Genever s’est véritablement répandu. En effet, les baies de genièvre étaient déjà connues depuis l’Antiquité pour leurs effets positifs, notamment sur les troubles digestifs.
L’histoire de son origine n’est pas définitivement élucidée – on cite souvent le médecin d’origine allemande Franciscus Sylvius (1614 – 1672), qui exerçait aux Pays-Bas, comme l’inventeur de la forme moderne du Genever. Toutefois, une recette de 1522 provenant d’Anvers et d’autres sources néerlandaises indiquent que le Genever était déjà produit sur le territoire des Pays-Bas actuels environ 100 ans avant Sylvius.
Pendant la guerre de 80 ans entre l’Espagne et les Pays-Bas (1566 – 1648), des soldats anglais ont également combattu aux côtés des Néerlandais et se sont ainsi familiarisés avec le Genever, à la fois comme médicament et comme stimulant. Ayant ramené l’eau-de-vie au bercail, ils abrégèrent son nom en gin. Il ne fallut pas longtemps pour que le gin soit également produit en Angleterre et y devienne très populaire.
Succès en Angleterre, épidémie de gin et réglementation
En 1689, le gouverneur néerlandais Guillaume III monta sur le trône d’Angleterre, supprima toutes les taxes pour les producteurs de gin locaux et fit également produire du gin lui-même. Parallèlement, il imposa des droits de douane élevés sur l’importation de brandy et d’autres alcools en provenance de l’empire français ennemi. Sans surprise, le gin s’imposa rapidement comme la boisson de choix pour les Anglais. Il était extrêmement facile à fabriquer, si bien que de nombreux particuliers se mirent à le distiller. Une maison londonienne sur cinq aurait été équipée d’un système de distillation à cette époque. En conséquence, des prix bas et une qualité médiocre.
Le gin bon marché devint si populaire que les décennies suivantes en Angleterre sont entrées dans l’histoire sous le nom d’« épidémie de gin ». La consommation de gin par habitant aurait été de 90 litres par an (!). L’alcoolisme était omniprésent et le taux de mortalité à Londres était parfois supérieur au taux de natalité. Les actes de violence et autres crimes se faisaient de plus en plus fréquents et les enfants de parents alcooliques étaient négligés. L’artiste anglais William Hogarth a immortalisé cette situation désastreuse dans sa gravure sur cuivre Gin Lane (« ruelle du gin »).
Le gouvernement anglais voulait agir, mais il était assez impuissant. En 1736, il introduisit des taxes élevées sur la vente de gin, ce qui provoqua des émeutes. Les taxes furent ainsi d’abord réduites, puis supprimées quatre ans plus tard. Il s’agissait de l’une des six tentatives infructueuses de lutte contre l’alcoolisme rampant. Ce n’est qu’en 1751 que le gouvernement promulgua le Tippling Act, en publiant l’image ci-dessus. Cette disposition contenait notamment des prescriptions strictes concernant le processus de fabrication et la qualité de l’eau-de-vie de genièvre et prévoyait de lourdes sanctions en cas de non-respect. C’est ainsi que la distillerie privée est devenue illégale, car ces exigences ne pouvaient être maîtrisées que par des producteurs professionnels. Les distilleries n’étaient désormais autorisées à vendre de l’alcool qu’aux établissements disposant d’une licence d’État pour la vente d’alcool. En outre, la vente directe des distilleries aux consommateurs·rice·s était interdite
Ces mesures rendirent le gin beaucoup moins facile à trouver et son prix augmenta fortement. D’autres hausses de prix eurent lieu en 1757, lorsque plusieurs mauvaises récoltes entraînèrent une pénurie de céréales pour la fabrication. C’est ainsi que l’épidémie de gin prit fin après plus de 50 ans.
Modernisation et gin aujourd’hui
Bien entendu, la production de gin s’est poursuivie, mais dans une qualité supérieure. Celle-ci s’est encore accrue au cours de l’industrialisation, lorsque les techniques de distillation se sont affinées et que de nouvelles technologies sont apparues sur le marché, comme la colonne à distiller. Grâce à elle, le gin a pu être distillé beaucoup plus efficacement qu’auparavant, et il en a résulté un distillat plus pur.
C’est également à cette époque que furent posées les bases du cocktail pour lequel le gin est aujourd’hui le plus souvent utilisé : le gin tonic. En 1858, l’Inde est devenue une colonie anglaise et des milliers de soldats anglais ont été déployés sur le sous-continent. La malaria y sévissait à l’époque et la seule protection connue contre cette maladie était la quinine. La poudre très amère était mélangée à de l’eau et du sucre pour la rendre à peu près comestible – une forme précoce du Tonic Water que nous connaissons aujourd’hui. Ce mélange étant encore trop amer, les soldats y ont simplement ajouté du gin qu’ils avaient ramené de leur pays. Ainsi, ils appréciaient le médicament et le gin tonic, du moins son ancêtre, était né. Ce n’est que quelques décennies plus tard qu’il connaîtra un succès mondial.
Au début du 20e siècle, les cocktails sont devenus à la mode et, avec eux, le gin tonic. Le gin s’est particulièrement bien vendu aux États-Unis, mais la prohibition (1920 – 1933) a mis fin à cette activité, du moins officiellement. L’alcool a continué d’être importé illégalement aux États-Unis via le Canada. La prohibition a toutefois eu l’effet d’un coup dur pour les producteurs de gin d’Angleterre, à l’instar deux guerres mondiales.
Dans l’après-guerre, le gin n’a pas vraiment pu se rétablir, car un concurrent lui volait désormais la vedette dans le monde entier : la vodka. Ce distillat de céréales en provenance d’Europe de l’Est a conquis les bars à cocktails du monde entier et est devenu la marque de fabrique de James Bond sous la forme du Vodka Martini – et ce, bien que ledit cocktail ait été à l’origine mixé avec du gin. Comparé à sa popularité actuelle, le gin connut une existence plutôt discrète pendant quelques décennies.
Le gin a été « redécouvert » au cours des années 90. Bien qu’on ne connaisse pas la raison exacte de ce phénomène, il est clair que le gin est redevenu nettement plus populaire. Les fabricants relançaient leurs lignes de produits, commercialisaient de nouvelles éditions et les consommateurs·rice·s reprenaient goût au spiritueux. De plus en plus de producteurs s’y joignirent, et la tendance se poursuit encore aujourd’hui. Aujourd’hui, le gin n’est plus produit uniquement en Angleterre, mais dans la moitié du monde, notamment en Italie, au Japon, en Équateur, en Espagne, en Danemark et bien sûr en Suisse. Les expériences menées avec de nouvelles substances aromatiques (dites botanicals) produisent en permanence de nouveaux goûts et nuances.
Et le Genever ? L’ancêtre du gin est relativement peu connu sous nos latitudes, mais il continue d’être produit. Il dispose même d’une appellation d’origine protégée et ne peut donc provenir sous ce nom que des Pays-Bas, de la Belgique, de deux départements français et de deux Länder allemands – la zone de production initiale au 16e siècle. Son nom n’a d’ailleurs rien à voir avec Genève, mais est une déformation de Juniperus, le nom latin du genévrier.
Baies de genièvre et substances aromatiques : La fabrication du gin
En matière de fabrication, le gin constitue une exception parmi les spiritueux. Alors que la grande majorité des eaux-de-vie sont obtenues ou distillées directement à partir d’une matière première de base, ce n’est pas le cas du gin. Sa matière première de base, la baie de genièvre, n’a pas assez de sucre pour déclencher une fermentation. Et sans fermentation – pas d’alcool.
C’est pour cette raison que la fabrication du gin se base sur un alcool très pur (au moins 96 % du volume), qui est ensuite aromatisé. La matière première utilisée pour sa fabrication n’a pas d’importance, les plus appréciés étant le blé, l’orge et le maïs. La betterave sucrière ou la mélasse sont également utilisées, mais plus rarement. Le gin n’est donc rien d’autre que de la vodka aromatisée. Ce qui est déterminant, c’est que l’alcool soit d’origine agricole, c’est une prescription au sein de l’Union européenne. La plupart du temps, il est produit à l’aide d’une colonne à distiller. Pour savoir comment cela fonctionne, cliquez ici. De nombreux producteurs de gin ne produisent pas eux-mêmes cet alcool de base, mais l’achètent. C’est pour cette raison que nous ne nous y attarderons pas ici.
L’étape centrale de la production de gin est l’aromatisation de l’alcool de base. Le seul ingrédient obligatoire est la baie de genièvre. C’est elle qui fait que le gin est du gin. En outre, les producteurs sont en grande partie libres de choisir les substances aromatiques, appelées botanicals, tant qu’elles sont naturelles. La plupart des gins en comptent environ sept à neuf, mais l’éventail des substances est large. Le Tanqueray Dry Gin classique, par exemple, n’en contient que trois, tandis que le Monkey 47 porte fièrement le nombre élevé de ses substances aromatiques dans son nom.
Aromatisation et distillation
Pour faire entrer les substances aromatiques dans le gin, il existe deux procédés principaux : la macération et la percolation. La macération est le procédé le plus traditionnel des deux. Pour ce faire, les substances aromatiques sont mises à macérer dans l’alcool de base jusqu’à ce qu’ils aient complètement libéré leurs arômes. Cela peut prendre entre 36 heures et plusieurs semaines, en fonction des substances aromatiques utilisées. Le maître distillateur doit surveiller en permanence le processus et écumer l’alcool aromatisé à intervalles déterminés pour en ajouter un nouveau.
Étant donné que les substances aromatiques sont des plantes et non des produits artificiels, elles n’ont pas toujours la même qualité. Il incombe au maître distillateur de gérer la macération de manière à ce que le gin conserve son goût.
Lorsque tous les arômes des substances aromatiques sont passés dans l’alcool, le gin peut théoriquement déjà être dilué avec de l’eau et mis en bouteille. Il est alors appelé compound gin. Étant donné il n’est pas distillé davantage, on peut théoriquement produire cette forme de gin chez soi en utilisant un alcool neutre, par exemple de la vodka, pour la macération.
La plupart des producteurs vont encore plus loin et distillent de nouveau l’alcool de base aromatisé. Cela permet d’éliminer les arômes indésirables qui se sont introduits lors de la macération. De plus, cela permet de retirer à l’alcool la couleur qu’il a reçue des substances aromatiques lors de la macération. Cette distillation est effectuée dans un alambic, comme celui utilisé pour le whisky de malt.
L’alambic est une chaudière en cuivre avec une partie inférieure ventrue et un long col étroit qui s’élève verticalement. L’alcool aromatisé est versé dans la partie inférieure et l’alambic est ensuite chauffé par le bas. L’alcool et ses arômes s’évaporent alors et remontent vers le col de l’alambic.
Seul l’alcool pur et les arômes souhaités parviennent à se hisser tout en haut, ce qui explique la longueur du col. Toutes les substances indésirables se condensent avant, parce qu’elles ont un point d’ébullition plus élevé et qu’il fait plus frais dans la partie supérieure du col, ou alors elles réagissent avec le cuivre dans les parois et y restent accrochées. Parvenue en haut, la vapeur est dirigée vers une spirale descendante où elle est refroidie afin de se recondenser. Sur l’image ci-dessus, ces spirales se trouvent dans les colonnes entre les deux rangées d’alambics, au fond à gauche.
La distillation dans l’alambic implique que l’on ne peut pas utiliser tout le gin fraîchement distillé, mais seulement une partie. Le premier tiers du liquide, appelé la tête de distillation n’est pas consommable et contient du méthanol toxique. Il doit être éliminé. Vient ensuite le cœur de distillation, qui représente un autre tiers de la quantité produite. Celui-ci est séparé de la tête de distillation et ensuite traité. Enfin, il y a la queue de distillation, qui n’est pas non plus consommable, mais qui, contrairement à la tête de distillation, est remis dans l’alambic lors du cycle de distillation suivant et distillé à nouveau. Une fois que tout le liquide s’est évaporé dans l’alambic, celui-ci doit être nettoyé avant de pouvoir distiller la charge suivante.
Il convient ici d’expliquer brièvement l’autre processus d’aromatisation le plus répandu : la percolation. L’alcool de base est alors directement versé dans l’alambic et redistillé comme décrit ci-dessus. La différence : les substances aromatiques sont versées dans un récipient perméable à l’air et placés dans l’alambic de manière à ce que les vapeurs d’alcool ascendantes passent à travers, et absorbent ainsi les arômes.
Les producteurs sont libres dans le choix de la méthode d’aromatisation, certains combinent même la macération et la percolation. Ces dernières années, d’anciennes méthodes ont en outre été remises au goût du jour, car le type d’aromatisation influence fortement le goût du gin et les producteurs sont très enclins à expérimenter. Parmi ces procédés, on retrouve la distillation sous vide, c’est-à-dire une percolation en l’absence d’oxygène. Le vide permet de distiller à une température nettement plus basse, pour une extraction plus douce des arômes.
Stockage et mise en bouteille
On pourrait croire que la distillation est la dernière étape du processus, mais le gin est généralement stocké pendant quelques semaines. Les arômes ont ainsi le temps de s’assembler, de sorte qu’ils s’harmonisent mieux dans le gin fini. Ce stockage se fait généralement dans des récipients neutres afin de ne pas influencer davantage le goût : ballons en verre, cuves en acier, faïence, etc. Certains producteurs, comme Radermacher en Belgique, stockent leur gin dans des fûts de chêne pour en développer le goût, comme c’est le cas pour le whisky. Le gin absorbe ainsi des arômes supplémentaires du bois et prend une couleur brunâtre. Sans stockage en fût, le gin reste transparent.
Comme il conserve une forte teneur en alcool à ce stade, le gin est dilué avec de l’eau après le stockage, avant d’être mis en bouteille. Selon la réglementation européenne, le titre alcoométrique volumique minimal du gin est de 37,5 %. Certaines mises en bouteille sont également proposées avec un taux d’alcool plus élevé, elles portent alors souvent la désignation complémentaire Navy Strength. Il s’agit de la teneur (57 % vol) avec laquelle le gin était autrefois distribué aux officiers de marine britanniques dans le cadre de leur ration.
Les variétés de gin
Old Tom Gin, (London) Dry Gin, Sloe Gin... la diversité des variétés d’eau-de-vie de genièvre est grande. Toutefois, seules trois appellations sont juridiquement protégées et définies dans l’Union européenne :
- London Dry Gin: bien qu’il porte le nom de « London », ce gin peut en principe être produit dans le monde entier ; il ne s’agit pas d’une appellation d’origine protégée. Mais il doit en tout cas être distillé – un compound gin ne peut pas être un London Dry. Aucun colorant ni sucre ne doit être ajouté et l’arôme principal doit être le genièvre. Cette dernière est toutefois mal définie et donc difficile à mettre en œuvre.
- Dry Gin : le dry gin doit également être distillé et ne doit pas contenir de sucre (d’où la désignation Dry, c’est-à-dire « sec »). Toutefois, à la différence du London, il est permis d’ajouter des arômes « identiques nature » qui ne proviennent pas directement de substances aromatiques.
- Sloe Gin : cette variété est une exception, car il s’agit en fait d’une liqueur et elle respecte rarement le minimum de 37,5 % vol (pour le sloe gin, le minimum est de 25 pour cent) requis. Sa couleur rougeâtre typique est due aux baies de prunes (anglais : sloe). On y ajoute du sucre, puis on les fait macérer plusieurs mois dans du gin déjà distillé. Le sloe gin n’est pas redistillé. Il n’a donc qu’un rapport très limité avec le gin, mais peut néanmoins être qualifié de tel.
Il existe également le Old Tom Gin, qui n’est toutefois pas défini par la loi et pour lequel il n’existe donc pas de méthode de production généralisée. La seule contrainte est qu’il doit être distillé, à part cela, les producteurs sont libres. L’Old Tom est souvent édulcoré avec du sucre, mais c’est facultatif, tout comme la maturation en fûts de bois, qui est parfois effectuée.
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